Je me souviens de notre tout premier atelier à l’EHPAD de Cleunay, à Rennes. En ce 13 janvier 2020, notre projet commençait à prendre forme et nous allions pour la première fois sur le terrain, un peu stressés mais heureux. Nous travaillons sur Eclats de Vie depuis septembre 2019 et avions commencé à nouer des liens avec l’animatrice de l’EHPAD, Nathalie.
Georges avait participé à ce tout premier atelier qui portait sur les envies, les désirs, les passions de chacun. Il s’était bien fait remarquer: il faut dire que l’intéressé n’a pas la langue dans sa poche! Georges, c’est une passion: le rock’n roll. A chaque fois que nous le rencontrions à l’EHPAD, il portait soit un tshirt d’Elvis Presley, soit un tshirt de Claude François. Avec 74 ans au compteur, il était le plus jeune de l’EHPAD. Il avait intégré Cleunay depuis quelques mois à peine. Après ce premier atelier il jouait déjà les retardataires, et continuait la discussion avec envie auprès de nous et de Nathalie, l’animatrice.
Chaque lundi, Georges a cours de piano. Il sort le synthé qui se cache dans sa penderie, et un professeur vient lui faire cours dans sa chambre. Il a quelques problèmes à jouer avec la main gauche, mais ça ne l’empêche pas de jouer le blues avec sa main droite. Et sa chambre, parlons-en: à votre gauche, vous avez un mur de CDs. Du sol au plafond, des CDs d’anthologie, du rock des années 50 jusqu’à de la variété actuelle. A votre droite, une chaine HiFi, et encore quelques CDs rangés dans la table de chevet. En dessous de la télé une multitude de DVDs des meilleurs concerts du dernier cinquantenaire. Et quand on entre, la musique est toujours allumée. La chambre de Georges ce n’est jamais silencieux. Un passionné, quoi!
Et Georges nous l’expliquait: “À l’EHPAD, le rock’n roll ben… c’est pas trop ça. Moi je veux bien essayer de faire un petit concert et tout, mais pas sûr que le public soit le plus adapté”. Alors on s’est mis à voir grand, un peu. “On pourrait organiser un concert en plein air! Ou alors projeter un film sur Elvis, sa vie, son histoire, et après on en parle, on discute on demande l’avis des gens”.
Ce qu’on commençait à relever dans tout ça, c’est que Georges, sa musique il veut la partager. Quand on lui rendait visite, il n’était pas rare qu’on visionne deux ou trois extraits de concerts, et qu’on improvise un mini blind-test sur les chansons de son répertoire. “Attends, je te la mets et tu me dis si tu reconnais!”, qu’il nous lançait souvent.
A notre échelle, organiser un concert ou même une projection de film était bien trop gourmand en ressources: il faut beaucoup de temps, de matériel, il faut inviter les gens. Ce n’était pas viable pour notre projet, ni pour Georges, il fallait trouver quelque chose d’autre. Une autre idée nous est venue: Georges aime partager sa musique avec des gens sensibles à ses goûts. Nous nous sommes mis en quête d’associations de danse rock. Dans notre école, à l’INSA de Rennes, il y a un Club Rock. Chaque jeudi soir, des étudiants se retrouvent dans la cafétéria des professeurs, montent le son et font fumer le parquet de leurs pas. Ça s’entremêle, ça rit, ça transpire aussi! Etant un ex-habitué du Club Rock, je savais que la gestion de la liste des musiques était souvent improvisée. Alors pourquoi ne pas demander à Georges de nous concocter une playlist aux petits oignons et de la passer pour les danseurs du jeudi soir?
La présidente du club était séduite par l’idée de cette rencontre atypique et transgénérationnelle. Nous étions déjà fin février, et nous décidions alors de la proposer à Georges: “Que dirais-tu de faire la playlist du club jeudi prochain?”.
“Hmmmmmm!” s’exclama-t-il, un peu circonspect. Georges était un perfectionniste. “Ça ne me laisse pas beaucoup de temps ça!”. Nous décidâmes d’y aller quand même, mais juste pour prendre la température. Pour faire la playlist, nous attendrons encore un peu, pour qu’elle soit parfaite.
Ce 27 février, lorsque David vint me chercher au centre multimédia de mon école, Georges était déjà à l’avant de la voiture. Je fermais la portière et nous fonçions de l’autre côté de Rennes, à la cafétéria des professeurs de l’INSA, où la musique jouait déjà. Je n’avais rien mangé, alors sur le siège arrière, je dévorais un bout de pain et de fromage que David m’avait réservé en partant de chez lui. Il faut dire que le lendemain, notre équipe passait l’oral final sur le projet Eclats de Vie, et nous avions travaillé d’arrache pied jusqu’à la dernière minute. Pas question cependant de rogner sur la soirée que nous avions prévu pour Georges.
Nous arrivons et présentons Georges aux danseurs, puis nous commençons un peu le repérage. Quel type de musique irait mieux. Boogie Woogie? Rock’n roll? Un petit blues? Plutôt Elvis ou Chuck Berry? Je vais danser pour quelques chansons et laisse David discuter avec Georges. Puis vient le moment de rentrer.
Sur la route du retour, Georges avait l’air heureux et ça me faisait chaud au coeur. Nous partions en stage la semaine d’après, pour ne revenir à Rennes qu’en septembre (du moins, c’est ce que nous avions prévu avant que le coronavirus ne commence à bouleverser nos plans!). Georges aura le temps de nous faire une playlist du tonnerre pour la rentrée.
Et la prochaine fois, il est fort possible que Georges ne sorte pas seul: notre présence à l’EHPAD commence à faire des émules. Un ami de Georges semblait lui aussi avoir envie de venir!
C’est génial, parce qu’on est à la croisée des mondes. On part du désir de Georges, de son souhait, on rencontre des gens d’âges et d’environnements différents, à l’extérieur de l’EHPAD. Et on arrive presque à embarquer d’autres résidents dans l’aventure, seulement avec du bouche à oreilles. Magique!
Nous espérons pouvoir revoir Georges et son grand sourire au plus tôt, lorsque la situation sanitaire le permettra. En attendant, merci d’avoir pris le temps de lire ce témoignage. N’hésitez pas à nous contacter si vous avez des idées, des remarques sur notre projet, nous serons ravis d’échanger avec vous!
Jules, pour Éclats de Vie.